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Writer's pictureThibaut Legendre

Bridge over troubled waters (FR)

Updated: Sep 3, 2021

Interview avec Wanda Duvivier, 12 juillet 2021


Peut-être connaissez-vous ces mots immortels : « Like a bridge over troubled water… ». Composée par Paul Simon et interprétée solo par Art Garfunkel, Bridge Over Troubled Water est une chanson qui parle de soutien. De l’aide qu’une personne peut apporter à un.e autre dans un moment difficile [i]. C’est cette expérience que nous partage Wanda Duvivier, dans une rencontre qui m’a beaucoup ému.


Gerben van Es | Saint-Martin, 7 septembre 2017 | Fondation Wikimédia

Wanda est Psychothérapeute/Gestalt-Thérapeute, installée en Guadeloupe. Le pilier de sa pratique, c’est d’accueillir ses client.e.s et leur histoire. En février 2021 [ii], elle déclarait:

« Je les crois comme j’ai été crue, et je les accompagne comme je l’ai été. »

En 2017, c’est sur cette posture d’accueil particulière que Wanda, alors récemment certifiée, s’est appuyée pour aider des inconnu.e.s. dans des circonstances très éprouvantes.


L’ouragan Irma dévaste les Antilles, en septembre 2017, faisant 136 victimes directes. Irma dévaste 12 îles, et les côtes américaines de Floride [iii]. Plus d’un million d’habitants sont évacués, des centaines de milliers de foyers se retrouvent soudainement sans logement, eau ou nourriture.

Wanda Duvivier | Gestalt Thérapeute

Pour Wanda, la mission de secours commence par un email d’appel à volontaires lancé par l’ Association des Psychologues de la Guadeloupe (ApsyG). Immédiatement elle répond. Elle travaille pendant 10 jours à l’aéroport de Pointe-à-Pitre, dans un hall hâtivement aménagé pour l’accueil des réfugié.e.s en transit de Saint-Martin et Saint- Barthélémy. Organisé dans le cadre de la Cellule d’Urgence Médico Psychologique (CUMP) [iv], son travail consiste à être là, accueillir les personnes qui débarquent, et leur prêter assistance dans l’urgence de leur situation. Après un briefing de deux heures lui permettant de mieux comprendre la situation sur les îles touchées par l’ouragan et les ressources d’urgence mises en place, Wanda se retrouve lâchée dans le centre d’accueil, équipée du brassard « Psy » artisanal qu’elle s'est fabriqué. L’afflux est important, il y a beaucoup à faire, la situation est chaotique.


Tout de suite, elle doit se mettre au diapason de cette expérience inhabituelle. Plus de cabinet ou d’espace sécurisé pour recevoir. Wanda explique :

« Le cabinet du thérapeute est dématérialisé, mais il est présent dans ma façon de rencontrer chaque personne ».

Ceux et celles qu’elle rencontre sont en transit vers ailleurs. Beaucoup sont encore sous le choc, hébété.e.s. Ce qui domine donc, c’est l’instantanéité et l’urgence. Pas de relation dans la durée, il ne s’agit pas pour elle de faire de la thérapie, mais plutôt de mobiliser ses compétences de thérapeute pour aller rencontrer l’autre exactement là où il/elle se trouve. Wanda connaît Saint Martin, elle peut discuter de leur périple jusqu’au point d’évacuation avec ses clients de rencontre. Elle connaît le nom des quartiers et de certaines rues. Mais surtout, alors que tou.te.s débarquent avec des histoires incroyables, et peinent à réaliser ce qui est arrivé, elle les croit.


Hurricane Irma before and after | Cities of the World | 12 septembre 2017


L’expérience de l’ouragan, c’est celle du défigurement, et de l’effondrement complet du cadre de vie. En sortant de leur maison le matin suivant la tempête, les survivants ne reconnaissent plus l’environnement. Les quelques arbres qui restent n’ont plus de feuilles, des bateaux sont sur les routes et des voitures dans l’océan. Tout est détruit. En une nuit, le cadre de vie familier et confortable s’est métamorphosé en un monceau apocalyptique de ruines. À la destruction s’ajoute l’insécurité matérielle et la faim. Des groupes se forment, certains pillent ce qui reste, il faut survivre [v]. Les rescapé.e.s attendant les secours parlent d'un sentiment d'abandon total (Duvivier, 2018)… [vi].

Wanda réalise alors que le plus important est d’ « installer le plus vite possible du connu, commun et reconnaissable » avec l’autre.

Cet environnement méconnaissable, effondré, en plus de la peur et des éventuelles blessures, est très traumatisant pour les réfugiés (Duvivier, 2018). Le mécanisme le plus élémentaire de notre survie, est notre capacité à attribuer un sens au monde qui nous entoure. Par exemple, un arbre annonce des fruits, et nous rassure sur la possibilité de satisfaire notre faim. Dans la familiarité de l’environnement, notre maison, notre lit, les photos sur les murs, les milles petites choses qui font que chez nous est un chez-soi, nous trouvons à chaque instant la confirmation de notre sécurité. Nous sommes rassurés, notre survie n’est pas en question.


Mais que cette familiarité s’amenuise (il suffit par exemple d’un téléphone qu’on ne retrouve pas…), et nous voici tout d’un coup inquiets. Les changements, mêmes minimes, dans notre environnement, nous ramènent instantanément à nos questions de survie les plus basiques. L’expérience d’Irma, c’est celle de la disparition totale de cette familiarité, d’un dénuement si complet, que même interpréter ce qui s’est passé n’est plus possible. Pour les réfugiés, c'est irréel (Duvivier, 2018).

Beaucoup demandent à Wanda : « Vous me croyez ? Est-ce que le monde est au courant de ce qui s’est passé ? ». Inlassablement, Wanda confirme que oui elle les croît.

Wanda rencontre Nicolas. Son club de rugby est détruit, ses copains sont évacués dans toutes les directions. La destruction de sa ville est comme la fin du monde, il est effaré, pour lui, il n’y aura plus jamais de rugby nulle part (Duvivier 2018).


Au gré des rencontres, Wanda trouve alors des petites choses. Le nom d’une rue ou d’un quartier, le détail d’une coiffure, le fait que d’autres clubs de rugby existent ailleurs, parfois simplement d’écouter un récit décousu sans chercher à le recoudre. Dans ce monde soudainement méconnaissable, ces moments de présence apportent une première dose de familiarité, de connu, de commun, comme la première accroche, avec laquelle la personne rencontrée peut reprendre pour elle-même, le fil de la narration de sa vie, un temps interrompu par la sidération.


Dans sa chanson, Paul Simon propose d’aider l’autre, mais il ne dit pas concrètement comment. L’expérience de Wanda nous met sur la voie. Lorsque le réel est si violent qu’il semble que nos pieds ne touchent plus de sol, que nous n’avons rien de solide à quoi nous raccrocher, et que la terre ferme n’est plus qu’un lointain souvenir, ce que l’ami.e peut faire, c’est s’offrir comme pont au-dessus des eaux troubles.


À l’opposé des histoires de pillage, Wanda me confie avec émerveillement avoir vu et participé à l’élan de solidarité qui s’est manifesté à cette occasion.

« C’était fort comme une vague et ça se sentait dans l’atmosphère, juste des tas de gens qui étaient là tout d’un coup, pour aider, c’est une pulsion humaine, irrésistible. »

Pour un moment elle a pu être un pont. Ceux qui ont croisé le chemin de Wanda ne s’en souviennent peut-être pas, mais elle ne peut pas les oublier.


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WANDA DUVIVIER


Wanda est Gestalt Thérapeute, diplômée de l’École Parisienne de Gestalt. Elle est membre de l’Association Européenne de Psychothérapie (EAP), et titulaire du Certificat Européen de Psychothérapie (CEP). Wanda exerce à Sainte Anne en Guadeloupe, et se spécialise plus particulièrement dans l’accompagnement des victimes de violences à propos de qui elle dit : « Elles savent que toujours et définitivement, je refuserai la violence et me battrai avec elles. » Son expérience avec les réfugiés de l’ouragan Irma a transformé sa pratique. Elle en fait un premier compte-rendu dans son écrit professionnel de troisième cycle de l’EPG [vi] :


NOTES:

[i] Le dernier couplet ne fait pas référence comme certains l’ont prétendu, à la consommation d’héroïne. Paul Simon a expliqué que « silver girl » se référait à sa première femme Peggy Harper, qu’il appelait ainsi après l’apparition de ses premiers cheveux argentés. Le thème de la chanson est le soutien apporté à quelqu’un.e qui en a besoin. Le terme de « Bridge over troubled water » est très probablement inspiré d’un vers du chant Gospel traditionnel « Oh Mary don’t you weep », interprété par les Swan Silvertsones : « I'll be a bridge over deep water if you trust in my name ».

[ii] Interview filmée et diffusée sur la chaîne YouTube de l’association Kombit Fanm Karayib, une association loi 1901 ancrée en Guadeloupe et en Martinique, qui milite pour l'égalité entre les femmes et les hommes et pour le développement de l'écoféminisme.

[iii] L’ouragan Irma est décrit en détails sur Wikipédia, dans un article qui ne mentionne pas moins de 175 références. Lien

[iv] Pour en savoir plus sur la CUMP et le dispositif français voir le site du gouvernement à ce sujet. Lien.

[v] Jacquard, N, 11 septembre 2017, le Parisien, À Saint-Martin, après Irma, ils ont trouvé refuge dans une imprimerie. Lien. Le Parisien, via l’Agence France Presse, 11 Septembre 2017, À Roissy, les premiers évacués des Saint-Martin décrivent « Un chaos incroyable ». Lien.


[vi] Duvivier, 2018, EPG, Intervention gestaltiste en cellule d’urgence post-immédiate – Les réfugiés d’Irma, 17 pages.


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